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Avec Respect, Anouk Grinberg rompt l’omerta dans le monde de la culture

  • Laure ROUSSELET
  • 17 juin
  • 4 min de lecture

Dans son livre Respect, publié le 3 avril aux éditions Julliard, l’actrice Anouk Grinberg lève le voile sur les violences sexistes et sexuelles dans un monde où le silence règne : la culture. Elle revient, dans cet ouvrage plus qu’intime, sur l’inceste subi lors de son enfance et sur l’emprise du réalisateur Bertrand Blier, avec qui elle a un fils.


Couverture du livre d’Anouk Grinberg, “Respect” sorti le 3 avril dans toutes les librairies
Couverture du livre d’Anouk Grinberg, “Respect” sorti le 3 avril dans toutes les librairies

Ce geste d’écriture, Anouk Grinberg l’assume pleinement. Dans Respect, elle livre un texte puissant, sans aucune échappatoire possible. Dès les premières lignes, le ton est donné : « Je shoote dans les secrets, je shoote dans les mensonges et les hypocrisies. J’explose le tombeau où j’étais endormie. » écrit-elle. L’objectif est clair : faire tomber les murs du silence, nommer les blessures, reprendre possession d’un récit qu’on lui a trop longtemps volé.



Le livre raconte l’histoire d’une femme brisée dès l’enfance, et façonnée, malgré elle, à devenir une proie. À sept ans, elle est violée par le beau-père de son amie d’école. À douze, c’est son propre frère aîné qui commet un acte incestueux.



La cellule familiale est défaillante : une mère malade, absente, un père, Michel Vinaver, accaparé par son travail de dramaturge. Personne n’est là pour l’entendre, le voir ni même le croire. Dès lors, elle est seule face à ce mal-être, avec un rapport au corps et au désir profondément altéré.


« Ça dure quelques minutes pour l’homme et une vie entière pour la femme. » 

— A. Grinberg


À l’âge adulte, elle tombe sous l’emprise du cinéaste Bertrand Blier, connu pour pour ses films provocateurs et misogynes comme Les Valseuses (1974), Préparez vos mouchoirs (1978) ou encore Mon homme (1996). Grinberg retrace cette relation dans une trentaine de pages. Sous neuroleptiques, manipulée par un psychiatre complaisant, elle devient l’objet malléable d’un réalisateur qui la fige dans des rôles violents : prostituée, fille perdue, poupée brisée. « J’étais dépossédée. Un pantin. », peut-on lire. Elle écrit également que malgré une reconnaissance du public pour ses rôles, elle s’effondre en coulisses : « Ma vie d’avant avait fait de moi une proie. Mon besoin d’amour m’a fait tout confondre. ».


Ce récit bouleversant, et pour cause, ne se termine pas par une revanche, mais par un lent travail de réparation. Le livre s’ouvre alors à un horizon plus doux, auprès d’un nouvel amour, et d’un enfant, qu’elle a avec celui qu’elle décrit comme son “bourreau” . Cet ouvrage au titre évocateur Respect devient alors un acte de transmission, une tentative de paix, sans jamais quitter sa portée institutionnelle et inéluctablement politique.


Grinberg n’est pas seule. Comme elle, plusieurs femmes issues du monde de la culture utilisent l’écriture pour briser ce silence. C’est le cas de comédiennes, journalistes, autrices ou universitaires, qui, chacune à leur manière, ont décidé de briser ce lourd silence. Judith Chemla, Hélène Devynck, Vanessa Springora, Florence Porcel, Camille Kouchner... toutes s’inscrivent dans un même élan : faire entendre ce qui a trop longtemps été tu.


Plus récemment encore, c’est Laurence Boccolini avec la publication de “Showtime : souvenirs du chaos” aux éditions Calmann-Lévy et sorti au début du mois, qui a pris la parole. Dans cette autobiographie sensible et politique, l’animatrice raconte son parcours, les humiliations sexistes, la grossophobie dans les coulisses de la télévision, et son combat pour s’imposer dans un milieu encore profondément masculin.


L’écriture comme renaissance


Toutes ces œuvres, chacune à leur manière, constituent les preuves d’un passé désabusé. L’écriture permet de transformer une expérience subie en récit, de faire basculer l’intime dans le public. En structurant le chaos, ces femmes s’offrent un pouvoir : celui de reprendre le contrôle sur leurs vies fragmentées.


Anouk Grinberg en est l’incarnation. Dans Respect, elle dissèque les mécanismes, expose l’emprise, montre les conséquences. Elle désigne les coupables et surtout atteste qu’elle existe à nouveau.


Pour toutes ces autrices, écrire est un acte de résilience et de survie. Judith Chemla parle d’un “besoin vital”. Vanessa Springora revendique une “réparation”. Hélène Devynck ou Florence Porcel y trouvent une arme contre l’impunité. Toutes réaffirment leur humanité.


Emmanuelle Dancourt, cofondatrice et présidente de l’association #MeTooMedia. © Henrique Campos/Hans Lucas
Emmanuelle Dancourt, cofondatrice et présidente de l’association #MeTooMedia. © Henrique Campos/Hans Lucas

Dans cet élan collectif, Respect est un signal fort. A. Grinberg rejoint un mouvement de femmes qui osent parler. Cette prise de parole, et tant d’autres, est rendue possible par le soutien d’initiatives comme #MeTooMedia. L’association est co-fondée et présidée par la journaliste Emmanuelle Dancourt. Elle-même victime du présentateur phare de TF1 des années 2000, Patrick Poivre d’Arvor. Son objectif ?Transformer une histoire personnelle en action collective affirme-t-elle :



“J’ai compris que je ne pouvais pas me contenter de mon histoire.”

- Emmanuelle Dancourt


Depuis, #metoomedia accompagne les victimes dans les médias et toutes les sphères de la culture : aide juridique, ligne sécurisée, accompagnement individuel, aide administrative. L’association agit en amont, en formant les étudiant·es dans les écoles de journalisme ou de production, et en intervenant dans les entreprises.


Aux côtés d’autres bénévoles, E. Dancourt intervient dans l’espace public : « On ne fait pas que du terrain, on fait aussi du plaidoyer (…) dans les journaux, au Sénat ou à l’Assemblée. Et on fait partie d’une coalition féministe d’une centaine d’associations qui demande une loi intégrale (…) ».


Alors que les condamnations récentes, vivement critiquées, de Christophe Ruggia et Gérard Depardieu marquent les esprits, une prise de conscience s’amorce. À travers Respect, Anouk Grinberg incarne le courage de celles qui ne veulent plus se taire. Son livre trace un sillon : les mots deviennent des armes, et l’écriture, un moyen de reprendre possession de soi.


De Laure ROUSSELET.

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