Inscrire le consentement dans la loi sur le viol : oui mais non !
- Laure ROUSSELET
- 17 juin
- 4 min de lecture

Une tribune publiée dans Le Monde du 17 février 2025 et signée par un collectif d’une vingtaine de députées et responsables d’associations ravive le débat sur l’inscription explicite du non-consentement dans la définition légale du viol en France.
Cette modification du Code Pénal divise militantes féministes, juristes et responsables politiques, posant notamment la question de la définition légale actuelle du viol et de ses conséquences. Le consentement devient "un véritable enjeu de société", affirme Océane Pérona, 36 ans, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université d’Aix-Marseille et spécialisée dans les violences sexistes et sexuelles.
Une définition floue du viol en France
L’article 222-23 du Code Pénal définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". Contrairement à d’autres pays européens, la France n’inclut pas explicitement l’absence de consentement, comme préconisé par la Convention d’Istanbul.
Les défenseurs de la réforme estiment qu’un viol peut survenir sans contrainte physique, par la sidération ou l’emprise psychologique. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, une femme sur six en France déclare avoir subi une relation sexuelle non désirée. "Aujourd’hui, il faut prouver la contrainte ou la menace ce qui rend parfois difficile l’obtention d’une condamnation”, explique Maître Marion Ménage, avocate de 48 ans, avant d’ajouter “Sans preuve clairement il n’y a pas de condamnation : le doute profite à l’accusé". Elle conclut : "Une réforme permettrait de mieux reconnaître la parole des victimes."
D’après le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), 114 135 victimes de violences sexuelles ont été recensées en 2023. Pourtant, 86 % des plaintes pour viol sont classées sans suite. "La justice exige des victimes qu’elles prouvent qu’elles ont été contraintes ou menacées, ce qui laisse de nombreuses affaires sans réponse", déplore Océane Pérona. Cette situation alimente la défiance envers le système judiciaire.
"Si on introduit le consentement, on risque de se focaliser sur la victime"
– Maître Marion Ménage
Pour la pénaliste, une nouvelle définition pourrait se retourner contre les victimes : "Aujourd’hui, la loi se concentre sur le comportement de l’agresseur. Si on introduit le consentement, on risque de se focaliser sur la victime : a-t-elle dit non ?" . Elle redoute un retour en arrière, obligeant les victimes à justifier leur attitude au moment des faits.
La présidente du Collectif Féministe contre le Viol, Emmanuelle Piet, médecin de 75 ans à la retraite, partage ces craintes : "Cela reviendrait à demander aux victimes pourquoi elles ne se sont pas débattues. Le risque, c’est que des agresseurs puissent arguer d’un consentement implicite." . Ce basculement pourrait fragiliser encore plus les victimes.
Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, en 2024, 90 % des victimes de viols ou tentatives de viols connaissent leur agresseur. Ce facteur, combiné à la sidération ou à la peur, explique pourquoi nombre de victimes ne réagissent pas immédiatement. "L’absence de refus explicite ne signifie pas un consentement", insiste Alexia Boucherie, doctorante en sociologie à l’Université de Bordeaux. "Les mécanismes psychologiques qui entravent la capacité des victimes à s’opposer sont bien documentés."
Une évolution nécessaire des comportements
Face à cette réalité, des experts plaident pour une transformation culturelle afin d’inscrire le consentement comme une norme sociale. Dans plusieurs pays européens, comme la Suède ou l’Espagne, des réformes similaires ont été mises en place avec des effets contrastés. "Le changement doit aussi passer par l’éducation, la prévention et la sensibilisation", souligne Alexia Boucherie. En Suède, appliquée depuis 2018, cette dynamique a contribué à faire évoluer les mentalités, favorisant une prise de conscience sur le respect du consentement. Une transformation qui pourrait être un levier pour réduire les violences sexuelles et qu'elles soient enfin mieux prises en compte.
Un espoir pour les victimes ?
Rien qu'en 2024, 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite selon l' Institut des politiques publiques. De quoi décourager les victimes. Olivia (prénom modifié), 25 ans, n’a jamais porté plainte après avoir été violée par un ami proche six ans plus tôt : "Il n’y avait pas eu de coups, pas de menaces. J’ai cru que ce n’était pas un viol. Pendant des mois, je me suis sentie coupable." Pour elle, inscrire le non-consentement dans la loi aurait pu tout changer : "J’aurais peut-être eu le courage de parler."
Emmanuelle Piet reste, quant à elle, sceptique : "Modifier la loi ne suffit pas si la justice continue de maltraiter les victimes. Il faut des changements concrets dans la prise en charge des plaintes et des enquêtes." . Ce constat rejoint les recommandations de plusieurs associations féministes réclamant une réforme plus globale.
Le débat se poursuit alors que les chiffres de violences sexuelles ne cessent d’augmenter. Avec l’ouverture du procès de Joël Le Scouarnec, chirurgien accusé d’abus pédocriminels sur près de 300 personnes, la protection des victimes et la reconnaissance des agressions restent d’actualité. L’issue de ces discussions pourrait marquer une nouvelle étape dans la lutte contre les violences faites aux femmes en France.
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